Un jour ou l'autre il faut bien appeler les choses par leur nom....
Bien sûr, bien sûr, mais je trouve ça gênant.
Moi je préfèrerais faire des catégories.
Il y aurait les bidules (plutôt de forme arrondie, oblongue, ovale, d'aspect lisse, pourquoi pas brillants ? , d'un usage précis mais difficile à définir), les trucs (plus anguleux, cassants, lisses encore mais pas toujours, ou alors carrément rugueux, avec peut-être des recoins, d'un usage encore plus précis mais cette fois bien défini), et les machins.
Pour les machins c'est plus spécial. On pourrait mettre dans cette catégorie les difformes, les informes -voire les polymorphes- les mous, de matières composées (même dures), avec des différences de densité et possédant même un grain de malice. Inattendus et changeants. Si on les définissait par leur usage on pourrait dire que cet usage est fluctuant. Voilà : fluctuant. Un jour ils servent à une chose, le lendemain à une autre. Peut-être même changent-ils de destination plusieurs fois dans la même journée ? (ce serait une manière de les classer : combien de temps restent-ils avec le même usage ? Une heure, plusieurs jours, quelques millisecondes -et dans ce cas leur fréquentation est fatigante et peu efficace, sauf dans le domaine de l'informatique)
J'en ai vu (vous aussi ?) qui pouvaient même se permettre de changer de destination en cours de route. Et qui le faisaient. C'est pour ça que je parlais d'un grain de malice de leur part. J'y reviendrai.
Enfin il y a la chose. Ça c'est flou, comme définition, la chose.
- "Passe-moi la chose là, oui, sur l'étagère. Plus à gauche."
(il y a une foule de choses sur cette bon sang d'étagère)
- "A côté du bidule, là ?
- "Non, à côté du truc !
- "Ah oui !"
Et on vous l'apporte. On vous l'apporte parce que, quand vous demandiez la chose, il n'y avait aucune précision dans votre demande, ça pouvait être n'importe quel objet parmi toutes ces choses sur l'étagère. Quand vous utilisez un langage plus précis (bidule, truc) immédiatement votre interlocuteur vous comprend et vous apporte la chose dont vous aviez besoin. Ou que vous convoitiez pour des raisons qui vous sont propres et qu'il ne m'intéresse pas de connaître (sauf votre respect).
Il reste bien sûr "bazar". Mais là le cas est spécial.
Si je me retourne et que je dis : "Passe-moi le bazar, là, sur l'étagère"... je me sens presque obligé de prononcer avec un accent (celui où les deux "a" de bazar vont s'entendre si différemment qu'on se demande s'il faut vraiment les écrire avec le même signe, la même lettre)
Bazar ça sent familièrement le non-familier,
Bazar c'est proche de "bousin" (par allitération), qui semble bien vulgaire et que nous n'utiliserons pas,
Bazar ça sonne un peu merveilleux, caverne d'Ali Baba,
Bazar c'est coloré,
Bazar c'est exotique.
Mais il faut aimer l'exotisme.
Et puis bazar c'est facilement collectif, signe d'une société évoluée.
"Tout ce bazar" désigne facilement un étalage d'objets (avec une certaine notion de désordre tout de même).
Mais le mot est plus subtil !
"Transmets lui tout le bazar" perd vite sa connotation pagailleuse pour simplement évoquer la multiplicité tant dénombrée que qualitative de l'ensemble d'objets, de lettres, de rapports, de notes administratives, de trucs, de bidules et de machins désignés par le court et efficace : bazar.
Finalement, si on y pense bien, bazar est une sorte de méta-mot pouvant regrouper l'ensemble des catégories précédentes plutôt vouées à l'aspect individuel et différencié des objets que l'on cherche vainement à dénommer.
D'où son côté éminemment pratique, malgré cette charge exotique (tout de même...) qui s'exhale de lui et qui fleure bon le charme de son Manneken-piss et de sa Place de Brouckère.
Le méta-mot peut même, dans certaines circonstances précises, devenir singulier (comme au début de la séquence) : "Fais moi passer le bazar, là, je te prie" (car rien n'exclut de conserver la politesse et la civilité de bon aloi qui devraient régir l'ensemble des rapports humains et permettent la compréhension entre les personnes alors même que la simplification syntaxique proposée plus haut demande (demande ? exige ! ) une attention plus soutenue aux propos de l'autre, donc à l'autre et par-delà à toute l'humanité embarquée à bord du vaisseau Terre, etc...
Un jour ou l'autre il faut bien appeler les choses par leur nom....
Certes....
Mais voilà :
Vous avez en main une pelle-à-neige à manche de bois (appelons ainsi provisoirement cet objet qui, d'après la classification du début, devrait plutôt être désignée sous le vocable de "machin"). Nous sommes au mois d'août, quelque part non loin de la côte, et si vous vous demandez (vous qui lisez) ce que le personnage fait avec en main une pelle-à-neige en plein mois d'août (et peut-être par temps caniculaire ?) c'est tout simplement parce que depuis six mois qu'il la voit dans la cour, au milieu de tout un bazar (vous constatez ici le côté pratique du vocable ? ), tout à coup un certain énervement le prend et que dans un sursaut de civisme à usage personnel il décide de ranger la pelle dans sa cave, au milieu de tout un tas de bidules, de choses, de trucs etc... qui constituent là aussi un bazar, mais d'une qualité différente.
Plus intime.
Mais vous venez de saisir la pelle, et tout à coup passe près de vous un gros frelon qui vous fait peur. Vous lui assénez un coup de pelle-à-neige (à manche de bois) qui l'envoie dans la poussière où les fourmis se chargeront de faire disparaître ses restes.
Voilà donc que l'objet a changé d'usage et de destination, comme je l'annonçais plus haut, et comme j'avais dit que j'en reparlerais. De pelle-à-neige (à manche de bois) le machin est passé à tape-mouche, et ceci en l'espace d'un éclair (ou d'un spasme de folie meurtrière dans vos yeux).
Quand je dit "tape-mouche", je suis bien conscient d'une minoration du mot, car le frelon est tout de même d'une autre essence que la mouche, demande plus de force pour l'abattre, plus de courage pour l'affronter, même s'il vole moins erratiquement que la mouche et se montre généralement plus gros que celle-ci (sauf le frelon nain, mais vous ne l'eussiez pas vu et il ne vous eût pas tant effrayé) ce qui le rend plus facile à viser.
C'est d'ailleurs une bien bonne chose (sic) car une pelle-à-neige (à manche de bois) possède une inertie qui la rend peu maniable pour de telles entreprises.
Vous voyez, le machin est d'essence changeante, pour ainsi dire fourbe (ça peut aller jusque là si, par exemple, quelqu'un a laissé traîner par terre la fameuse pelle-à-neige-à-manche-de-bois, que vous vous êtes pris les pieds dedans et que vous vous êtes cassé un bras en tombant).
Enfin, considérez ceci.
"La somme de contrôle est égale aux sept bits de poids faible du complément à deux de la somme de tous les octets de données".
Tout compris immédiatement ?
Et là :
"Le bidule du truc c'est que avec sept machins seulement on peut contrôler tout le bazar et tous les autres bazars avec ! "
C'est pas plus clair comme ça ?
Un jour ou l'autre il faut bien appeler les choses par leur nom....